21 April 2008
As Soon As #17
Lucius #4
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Dans la roulotte. Dusk ouvre les yeux, il est sonné. Jezz qui croque une pomme, le regarde d’un air interrogateur. Il porte la main au bras. Rien, aucune blessure, mais il a mal. J’ai besoin de prendre l’air. What happens ? You’re OK ? Non pas vraiment, je me suis fait attaquer. Jezz s’approche de Dusk et lui passe la main sur le visage. Dusk ferme les yeux tandis que Jezz pose ses lèvres contre les siennes, l’embrassant avec tendresse. La porte de la roulotte s’ouvre à la volée. Oh, que c’est mignon, regardez-les roucouler ! Laïla se tient dans l’entrée, les mains posées sur la ceinture de son pantalon en cuir. Derrière elle, ses deux compagnes offrent des sourires carnassiers. Jezz bondit en arrière, who da fuck are ya ? Laïla jette un coup d’œil rapide à l’œuvre, on va pas se présenter toutes les deux minutes, t’es morte ma belle.
Au ralenti, car tout s’accélère, c’est le chaos dans l’espace confiné de la roulotte. Jezz lance le pied au visage de Laïla qui le pare aisément et fait un pas de côté pour laisser entrer les deux autres. Dusk se précipite sur l’œuvre et la fourre dans le sac, la lame de Yoru se fiche dans la table, là où se trouvait sa main un instant auparavant. Raat dessine dans les airs de son index tout en chantonnant une mélodie dérangeante. Jezz et Laïla sont au corps à corps, les poings rendus flous par la vitesse des coups. Dusk, debout, le sac sur l’épaule, regarde partout, visiblement décontenancé. Yoru fait un pas vers lui en souriant, elle relève sa jupe révélant un petit poignard tenu par une jarretière. Des doigts de Raat sort une forme spectrale, un félin efflanqué à la mâchoire prometteuse. Jezz touche enfin Laïla au visage, un filet de sang jaillit de sa bouche qui est tordue par un rictus de rage. Dusk fait un geste large, balayant la pièce. Une puissante onde bleutée fuse de ses doigts, tordant la réalité sur son passage. Yoru se saisit du poignard d’un geste sec. L’onde la touche de plein fouet, elle est projetée contre un mur, décrochant un cadre du Clown en plein numéro.
La roulotte, déformée par la puissance de l’onde, se tord, craque et explose. Les innombrables objets qu’elle contient fusent dans tous les sens. Le félin enfin achevé se dissout soudainement quand Raat se prend un miroir en pleine tête, éclats acérés se fichant dans son corps. Jezz continue à prouver sa maîtrise du combat à mains nues à Laïla dont la concentration est partie en fumée, les coups lui pleuvent dessus. Un pied dans l’estomac, Laïla ne se relève pas.
Deux trapézistes en collants criards regardent tout ce cinéma, de loin, un peu interdits, sans oser se rapprocher et on les comprend. Ils se demandent pourquoi la bombe n’a pas fait de bruit en explosant et pourquoi cela ne flambe pas. Ils voient juste une femme à la peau caramel saisir la main d’un type et l’entraîner très vite hors de vue. C’est la baraque du Clown non ? Commence l’un d’eux. C’était la baraque du Clown termine le second. S’ils étaient restés à regarder plutôt que de partir avant qu’on les remarque, les trapézistes auraient vu les trois filles se relever des débris, ajuster leurs vêtements sexy avant de décamper, elles aussi, au pas de course.
Grande roue, montagnes russes, palais des glaces, train fantôme, chapiteau de cirque, la fête au Luna Park bat son plein. Les enfants sont impatients d’explorer la prochaine attraction, les doigts collants de barbapapa, les adultes qui les accompagnent aimeraient réussir à faire semblant d’être trop grands pour ça. Le Clown quitte la piste sous un tonnerre d’applaudissements. Il se gratte l’avant-bras en croisant le dompteur qui sent encore l’alcool. Ce soir, durant son numéro, il pensait à ce monde incroyable qui s’est déployé devant ses yeux, Lucius est un magicien, qu’est-ce qu’il aimerait le rencontrer. Ce n’est qu’en arrivant à quelques pas de sa roulotte qu’il découvre ce qui s’est passé. Jezz, j’t’avais dit de pas faire de conneries…
Cut.
La moto navigue sur l’océan d’asphalte, Dusk serré contre Jezz. Dépassant avec aisance les quelques véhicules s’attardant sur le boulevard, la moto feule avec une sensualité inévitable. Ses deux occupants savent que les Dark Angels ne vont pas en rester là, ils attendent la prochaine scène d’action. Autour d’eux, Villumière déroule ses artères boisées, ses bâtiments fantasmagoriques, ses chantiers endormis. Sans cesse la ville se construit, évolue, mute. Sa personnalité fluctuant au gré de l’humeur de ses habitants laissant une sensation de schizophrénie aux gens de passage. C’est pour cela qu’il est hasardeux de la décrire car ce que l’on y trouve dépend essentiellement de ce que l’on est, de ce que l’on ressent.
Deux motos apparaissent soudainement dans les rétros, rythmes techno. Jezz fronce les sourcils, here they come. Dusk jette un œil en arrière, pour s’apercevoir qu’elles sont déjà plus proches que ce qu’il aurait voulu. Putain de journée, ça va jamais s’arrêter. Instinctivement, sans même s’en rendre compte, il serre le sac contre lui. Jezz bifurque sans prévenir, évitant l’embranchement de la skyway pour plonger dans une rue étroite. Sensation d’accélération, on va trop vite, on va se tauler.
Fragmentation, snapshots en succession rapide, jambe gainée de cuir, mécanique chromée, main gantée sur la poignée d’accélération. Et l’aiguille du compte-tour qui s’affole. Laïla fait un signe de tête à Yoru qui donne un coup de guidon. Dusk ferme les yeux. Jezz le regard dur. Raat, en amazone derrière Yoru esquisse quelques passes magiques, sphère de lumière. Amortisseur en gros plan, forme féminine lovée contre la machine.
Passons aux choses sérieuses. Les Dark Angels se rapprochent, Jezz sinue dans le trafic, les rues multiplient les virages, le décor rendu flou par la vitesse. Raat lance une attaque. Explosion d’étincelles, cible manquée, une voiture s’envole au ralenti, rebondit contre une carrosserie, plissement du métal. Les Dark Angels esquivent. Pluie de débris.
Retour sur un boulevard, les Dark Angels ne quittent pas leur cible d’une semelle. T’as pas un gadget à leur lâcher ? I was waiting for ya. Dusk hoche la tête. Et tout devient confus.
Explosion électrique venant des doigts de Raat. Un œuf de lumière bleue se matérialise autour de Dusk et se propage rapidement. Devant ses yeux, des phosphènes blancs explosent en scintillant. L’œuvre en surimpression, trame de la matière, des cordes de lumière. Dusk les manipulent, les réarrangent. Jezz ouvre la bouche et les poursuivantes ont disparu.
Fondu au noir.
Les mains crispées sur le pommeau de la canne, le Comte grimace de fureur. Il ferme les yeux, tend le bras comme pour sentir quelque chose d’impalpable. Un son lourd, dérangeant est émis depuis une source indéfinie. Les rideaux de dentelle ondulent paresseusement, comme en phase avec ce son. La porte s’ouvre et les Dark Angels entrent dans la pièce. Décoiffées, les vêtements savamment désordonnés, le visage inexpressif. Elles s’agenouillent aux pieds du Comte. Laïla se recoiffe astucieusement avec les doigts, Yoru passe lentement la main sur le pantalon anthracite, Raat replace la bretelle de son corsage. So, girls… You have an explanation ?
Cut.
Noir&blanc. Venelle sombre et sinueuse. Pavés luisants et inégaux. Masures aux briques disjointes, aux tuiles branlantes. Portes en bois piquetées de tâches d’humidité, fenêtres tordues ne laissant filtrer aucune lumière. Fork semble emplir tout l’espace de la ruelle, sa peau encre de chine absorbe le peu d’éclairage venant de quelques becs à gaz aux flammes rappelant les feux de Saint-Elme. Philéas le suit en claudiquant, observant chaque détail asymétrique, chaque courbe brisée de l’architecture torturée de la Vieille Ville. Ça me rappelle ces vieux films muets. Oui, oui, je sais, t’en parles à chaque fois. Fork fait le blasé, il n’a jamais compris la passion de son comparse pour le cinéma expressionniste. Tordu, malsain, comment peut-on prendre plaisir à regarder des films pareils ?
Les rayures blanches de la peau zébrée de Philéas semblent lumineuses, dégageant un léger halo laiteux. La rue débouche sur une place. Quelques personnes aux vêtements aussi noirs que leurs pensées déambulent sans but apparent. L’un d’eux les regarde brièvement. Visage blafard et ridé, traits émaciés, chevelure longue, éparse et emmêlée, le cliché du savant fou. Un kiosque à musique aux ferronneries victoriennes rouillées est posé au centre de la place. Dans l’ombre de son chapiteau, une silhouette en contre-jour. Un son de flûte aux accents parfois grinçants donne la chair de poule à Philéas. Fork se ramasse dans son pardessus, les mains dans les poches. Ils s’approchent du kiosque.
Une lumière argentée s’intensifie graduellement, éclairant la silhouette. Le visage baissé, masqué par des cheveux noirs désordonnés. Une robe noire grossièrement reprisée. Elle lève lentement la tête et retire la flûte de la bouche. Regard perdu dans un loup de fard noir. Des traits fragiles lui donnant un air de poupée, la peau livide laissant deviner un méandre de veines bleutées. Ça et là, des cicatrices rosâtres. Les flics retiennent leur respiration, chamboulés par la tristesse infinie émanant d’elle. Une larme perce sur la joue de Philéas, coulant lentement en suivant une rayure. Fork s’éclaircit la gorge, on croirait entendre un sanglot.
Êtes-vous Sélène ? Le savant fou persifle à leur adresse, dans une langue aux accents gutturaux qu’ils ne peuvent comprendre. Regard fixe et triste, elle croise les mains sur sa poitrine, paraissant encore plus vulnérable. Philéas lance un regard laisse-moi faire à Fork qui fait un pas en arrière. Mademoiselle… Je suis comme vous… Il hésite un peu, je… je viens d’ici. Et de fait, Philéas aussi paraît immensément vulnérable, frêle, prêt à se briser. Il montre le halo émanant de sa peau. La fille plonge ses yeux dans les siens.
La nuit, l’obscurité de la psyché et son cortège de fantasmes inavouables, errance de l’âme ne connaissant pas de répit. Les étoiles pâles, le vide insondable. Un cratère aux replis chaotiques. Sensation de vertige, on ne distingue pas le fond et l’autre bord atteint l’horizon. Des yeux rouges…
Le contact se coupe, les yeux de la fille retournent dans le vague, dans la contemplation de leurs propres tourments. Les deux flics quittent la place sans se retourner. Le tintement de la pluie accompagnant le bruit de leurs pas et la flûte aux accents grinçants.
Plus tard, dans la voiture, tandis qu’ils roulent sur un boulevard ponctué d’arbres vénérables aux feuillages épais, Fork brise enfin le silence. Philéas, que s’est-il passé ? Philéas prend une large inspiration, l’Albinos… C’est son fils. Fork quitte la route des yeux un instant pour regarder son ami. Il faut qu’on aille faire un tour du côté du grand cratère.
Fondu au noir.
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