08 April 2007
As Soon As #10
As Soon As
More Than Meet the Eyes #5
More Than Meet the Eyes #5
#9 - #8 - #7 - #6 - #5 - #4 - #3 - #2 - #1
In the Heart of the Night
Caméra subjective, une main gantée de noir écrase le mégot mâchouillé d'un mince cigarillo contre le tronc d'un platane à l'écorce écaillée. Camille K passe, le parapluie tenu d'un air désinvolte, sur le trottoir d'en face. La caméra s'engage dans une poursuite steadycam, chaque virage, négocié avec fluidité. Camille K traverse les rues sans jamais attendre, tenant pour acquis qu'en cas de pluie, le piéton est prioritaire, glissant dans le trafic avec aisance. La caméra survole le boulevard de la Liberté, effectuant au passage un panoramique esthétique sur l'océan de voitures aux teintes ternes. Ça et là, un parapluie blanc se presse vers sa destination. Les grands projecteurs de la place de la République habillent la pluie de paillettes blafardes. Tiens ! Camille K hésite, vérifie une plaque de rue, se retourne… La caméra braque subitement une publicité décorant un abri bus noir de monde,
Be Sushi-B™
Une geisha occidentalisée se pâme de bonheur, tenant à la commissure des lèvres délicatement peintes, un minuscule cube de poisson fluo. Dans un coin, le logo et le slogan de Barrière, mais en tout petit. Camille K se décide pour une rue transversale, encore quelques pas, coup d'interphone et elle disparaît derrière une porte grillagée fraîchement repeinte en gris. Un cigarillo est porté aux lèvres, tandis qu'un briquet tempête, au creux du gant noir, s'embrase d'une flamme dansante.
Camille K notebook
Début de soirée peinard, encore des retrouvailles. Mes potes cependant n'ont pas envie de venir avec moi, ils sont fatigués, pas le courage de danser. Je retourne donc chez Bauhaus, marchant à grands pas, seule sous mon parapluie griffé, je le remarque, d'un B dans une sobre police art déco. Des chaussures ne craignant pas l'eau, voilà ce qu'il faut à tout arpenteur du sol lillois désormais parsemé de nombreuses flaques. Les gouttes forment des rides incessantes déformant sans fin les parcelles de lumière provenant des lampadaires. Mais je me laisse contaminer par le style de Douglas…
Case est affalé dans le canapé, sur un petit plateau, des miettes forment le seul souvenir d'un sandwich. Il est morose, ne me parlant qu'à peine, plongé dans le lyrisme d'une musique classique jouée à grand renfort de violons. En fait, je crois plutôt qu'il est timide et que son accident d'ordinateur n'est qu'un prétexte pour m'éviter. Je prépare un café, il en veut bien. Il m'accompagne même jusqu'à la cuisine pour me dégotter les tasses et la cafetière italienne. J'ai envie de sourire quand je le regarde, se tenant là, les bras ballants, jouant au misérable dans sa tenue pleine de poches.
Alors, je lui propose de m'accompagner, qu'on aille s'amuser quoi ! Grands yeux un peu effrayés, mais ce n'est qu'un jeu, au fond il est ravi. Il hésite un peu pour la forme, pour ne pas montrer qu'il n'attendait que ça. Une bonne boîte, qui bouge bien, je lui demande. Et pas trop loin. Du côté de Tournai, ça t'irais ? Un truc pas trop interlope mais qui pète.
Il court passer des vêtements plus adaptés et revient deux minutes plus tard, tout en noir. T-shirt moulant et pantalon avec poches se fermant à l'aide d'une glissière. Je place une vanne sur son goût pour les poches. Il me répond que c'est pratique.
Dans le garage de Bauhaus, nous optons pour une petite voiture anodine, modèle de série n'ayant que peu de modifications maison. Case me les détaille, les yeux brillants.
D'une pression de bouton, les vitres se noircissent. La porte du garage coulisse et je m'engage dans une rue tranquille tandis que Case sélectionne une musique. Direction Tournai, autoroute.
Aux environs de Tournai, Case me fait bifurquer sur une petite route de campagne. Encore quelques virages et nous apercevons le bâtiment. C'est une ancienne usine du 19ème siècle. Deux grandes cheminées circulaires en briques luisent de pluie sous les innombrables fils de lumière multicolores qui les entourent. La structure du bâtiment mélange de brique et de métal solidement boulonné semble vibrer. Les machines sont en train de fonctionner. Un projecteur lance sur un mur aux joints blanchis trois énormes lettres colorées au design désuet : CO2. Le parking, pas tout à fait empli, est le témoin d'un permanent va et vient. Une foule de jeunes, pressés de s'amuser, courant en riant dans une panoplie sexy. Bon ça promet.
Douglas Makoid notebook
Les essuie-glaces effectuaient des aller-retour en vitesse maximale mais cela ne suffisait cependant pas à évacuer à temps l'épais rideau d'eau qui se plaquait sans fin sur le pare-brise. Je conduisais tranquillement tandis qu'Ambroise, à côté de moi procédait à un ultime inventaire tout en se rongeant méthodiquement les ongles de la main gauche.
Douglas Makoid : Arrête de te bouffer les doigts, tu vas finir par te faire saigner.
Ambroise de Mort : Oh, ça va ! Ça fait des années que je me les bouffe, ce n'est pas le meilleur moment pour arrêter.
Douglas Makoid : Tu stresses comme un fou, hein ? Ne t'inquiète pas comme ça, tu es avec des pros. Tout va bien se passer, c'est comme si on était déjà de retour.
Ambroise de Mort : N'anticipe pas, et ne sois pas trop désinvolte, une affaire ne doit jamais être prise à la rigolade, et puis, je m'inquiète pour l'état de ton pied.
Douglas Makoid : Il va mieux, Camille me bichonne et As Soon As calme le reliquat de douleur pour que je ne boîte pas ce soir.
ASA émit un petit soupir pour corroborer mes dires. Il tourna la tête vers Ambroise, et ferma les yeux. Je vis Ambroise se décrisper presque immédiatement, le regard plein d'angoisse laissant place à une sérénité soudaine.
Ambroise de Mort : Décidément, il est fabuleux ton chien.
Douglas Makoid : Dis-lui directement, je n'y suis pour rien.
Ambroise se tourna vers la banquette arrière et glissa quelques paroles de gentillesse tout en caressant ASA qui se mit bien vite sur le dos pour se laisser papouiller le ventre en agitant les pattes. Je m'engageais sur un parking non loin d'Euralille et garais la voiture à une place judicieusement choisie pour être à proximité de la sortie. Je sortis une Feu de son paquet et l'allumais à l'aide de l'allume-cigares.
Crépitement de la cigarette s'embrasant
Ambroise de Mort (chantonnant) : Pas de fumée sans Feu ! (légèrement sarcastique) Alors, toi aussi t'es nerveux ?
Douglas Makoid : Je fume toujours une clope avant le début d'une opération, c'est mon dernier instant de répit avant le grand plongeon.
Les alentours étaient calmes, pas un chat, ce qui ne m'étonnais pas vu la fureur des précipitations. Nous enfilâmes en nous contorsionnant des impers de plastique jetables d'un noir légèrement transparent, pour affronter les éléments. Nous sortîmes de la voiture et nous dirigeâmes quasiment au pas de course vers le pont qui enjambait le périph pour rejoindre notre destination. Je tenais ASA d'un bras, bien à l'abri sous l'imper et Ambroise me suivait à un pas, jetant de multiples regards de-ci de-là.
Les tours d'Euralille se découpaient nettement sur le ciel aux nuages orangés par l'éclairage urbain. L'architecture chaotique s'empilait sans cohérence apparente, mélangeant blocs typiquement Le Corbusier et formes postindustrielles ou néo-modernes. Enfin, je ne sais pas trop et c'est certainement l'effet recherché. Le tout évoquait une maquette géante. La gare Lille Europe, tapie sous les tours, suintait par toutes ses ouvertures et l'eau ruisselait jusque sur les quais. Quelques rares voyageurs traînaient encore à cette heure, les épaules enfoncées dans les plis de leurs manteaux. Une voix sirupeuse à l'écho interminable émettait des annonces incompréhensibles. Nous bifurquâmes vers le parc Matisse au gazon morose se noyant sous les flaques et aux arbres trop rares pliant sous le vent.
Éclairages au sol évoquant le symbole de la radioactivité
Ambroise me tapota l'épaule, m'indiquant une direction. Nous nous engageâmes sur un sentier boueux aux petits massifs épineux s'accrochant au hasard des méandres d'un serpent de béton affleurant le sol et servant à l'écoulement des eaux. Personne à l'horizon, sûr ? OK, on y va.
Camille K notebook
La boîte porte bien son nom, elle décline le thème de la pollution. Case me suit, un sourire prometteur éclaire son visage. Un couloir lugubre aux néons de lumière noire débouche dans une salle un peu exiguë pleine à craquer d'une foule en quête d'extrême. Les murs de briques disparaissent presque sous la décoration, en fait des carcasses de voitures encastrées, comme accidentées. Depuis quelques pots d'échappement jaillissent ponctuellement des bourrasques de fumée colorée qui emplissent la salle de brouillard. Un rythme puissant martèle tout ça de décibels assourdissants. Le plafond laisse entrevoir par quelques ouvertures d'énormes engrenages en rotation. Case me hurle dans l'oreille ça te plaît ? J'essaie de lui répondre mais il n'arrive pas à me comprendre. Je lui montre le bar, il acquiesce, naturellement. Une barmaid en bleu de travail tâché et déchiré en quelques endroits judicieux s'intéresse enfin à moi après un temps interminable. Je saisis les gobelets métalliques et ma monnaie. Tiens Case a disparu.
J'erre un peu au sein des clubbers, essayant de le repérer, mais je vois surtout des nanas incroyablement jeunes, laissant apparaître plus de peau que de vêtements, les yeux explosés, se dandinant avec une grâce toute relative et se pressant vulgairement contre des mecs guère plus âgés et tout aussi défoncés. Je finis par retrouver Case, il fait la queue dans une alcôve. Derrière une table rouillée, un black plus que musclé échange prestement des billets contre des buvards et des pilules encapsulées. Je laisse Case faire ses commissions, il revient, aux anges, et me tend un bonbon protégé par une feuille d'aluminium. Je fais un signe de dénégation et lui glisse comme je peux à l'oreille que je préfère en rester à mes buzz démodés. Il hausse les épaules et me dit qu'il compte bien s'éclater. Fais, mon grand. Pleure la perte de ton bardordinateur avec ces succédanés extasiants. Le booster, bien que passé dans les mœurs n'a jamais été ma tasse de thé. Il gobe son passeport pour la joie, le faisant descendre d'une longue gorgée du jus d'orange que je lui ai ramené.
La techno un peu trop indus à mon goût, fini néanmoins par m'appeler et je me fraye un passage jusqu'au milieu du dancefloor. Là, je laisse mon corps prendre les rênes et je m'oublie pour un moment, dans un corps à corps avec la musique. Le temps et l'environnement s'effacent tandis que je bouge et que je deviens une cellule consciente de la grande machine cosmique.
Douglas Makoid notebook
Ambroise peinait pour remettre en place la lourde plaque de la bouche d'égout tandis que je descendais l'échelle guidé par l'éclairage intégré à la combinaison. ASA me regardait d'un air désolé, la truffe submergé par l'odeur que l'on trouve habituellement dans ces lieux.
Dernier raclement de métal et bong aux échos caverneux tandis que la plaque est à nouveau calée
Ambroise descendit à son tour, alors que je pataugeais dans une eau noire et mousseuse jusqu'à mi-tibia. Le courant était éloquent et le niveau n'allait faire que monter si la pluie ne se calmait pas.
Nous progressâmes un certain temps, légèrement voûtés, pour ne pas se cogner au plafond tapissé de moisissure. Ambroise m'indiquait quand il fallait tourner, consultant régulièrement le petit écran à cristaux liquides cousu sur sa manche. Nous finîmes par arriver à une échelle menant à une autre plaque. Après quelques minutes d'observation et un scannage méthodique d'éventuelles présences nous pénétrâmes dans les sous-sols du World Trade Center. Notre progression ne fut alors qu'une suite de clichés vus et revus dans n'importe quelle scène de cambriolage.
Couloir désert et reptation dans les conduits d'aération
Déjouer le code de la porte protégeant la salle des coffres ne fut qu'une question de gadget électronique rapide et efficace.
La salle à l'éclairage cru ressemblait à l'intérieur d'un cube aux parois blanches comme de la craie,
Plafond bardé de dispositifs de surveillance
Des faisceaux lasers presque invisibles formaient une toile d'araignée compliquée. Ambroise approcha son poignet du terminal à l'écran en mode veille. Petits bips mélodiques, please wait et l'écran se remplit du drapeau noir à tête de mort des pirates.
Murs ponctués d'alvéoles régulières à la porte blindée circulaire
Ambroise me gratifia d'un sourire entendu, les lasers disparurent. Forcer la porte du coffre ne fut guère plus difficile et le battant coulissa dans un chuintement pneumatique. C'est pile à ce moment que nous fûmes dérangés.
To be continued...